Mon GR20.
“You double the étape ?”. Si vous pouvez ouïr cela, vous êtes à coup sûr en présence d’un membre de la promotion GR20 du 4 septembre 2007. C’est à cette date que sont symboliquement achevées mes dernières vacances, deux semaines complètes isolé dans les montagnes corses pour rejoindre Conca depuis Calinzana, au terme de 170 km de marche à travers crêtes, pierriers et sous-bois spectaculaires. Toute personne ayant foulé le célèbre chemin pourra vous en parler, certainement durant des heures. Je partagerai ici mon expérience d’un point de vue pragmatique, pour essayer de donner ces informations essentielles aux personnes désireuses de se lancer dans l’aventure.
Venant de Paris, j’ai opté pour un vol aller/retour vers Bastia, troquant ainsi 6 heures de ferry contre 1h30 de bus, une formule en définitive plus rapide et moins onéreuse pour rallier Calvi. Fraîchement arrivé en terre promise ce lundi 21 août, je scrute les bagages qui commencent à défiler sur le tapis. J’attends… J’attends… J’attends beaucoup, là, non ?!? “Monsieur Pajot est prié de se présenter au bureau d’Air France, Monsieur Pajot”. Le premier couac de mes vacances est désormais annoncé à tout l’aéroport, classe ! Effectivement, mon sac à dos qui a lui raté son avion me rejoindra par le vol suivant, 1h30 plus tard… une moindre bévue, d’autant qu’on m’offrit rapidement une petite collation pour me faire patienter (à croire qu’ils savaient bien comment me calmer, les bougres !).
Le distributeur de billets de l’aéroport ne fonctionne pas, cela ne surprend personne ici. Dans l’incapacité de retirer de précieux dutki (les sous, dans le jargon montagnard polonais), je file à Bastia par la navette grâce à mes fonds de poche. Mais nous tombons rapidement dans les premiers embouteillages, deuxième petite poussée d’adrénaline. J’attrape de justesse l’unique bus de la journée partant vers Calvi, mais je dois maintenant négocier ma montée à bord alors que je n’ai plus l’argent nécessaire sur moi et que la conductrice ne veut pas retarder le départ imminent. Sa sympathie m’aura permis de repousser l’achat du précieux titre de transport, tandis que son envie pressante d’en finir avec sa journée de travail m’en aura dispensé totalement. J’ai rejoint mon frère quelques dizaines de minutes plus tard, le temps de retirer quelques billets de banques, alors que son bateau accosta lui aussi en retard. Finalement, seul élément de la journée honorant notre plan (théoriquement) sans accrocs, le taxi que nous avions contacté auparavant nous a récupéré au port de Calvi pour nous déposer au gîte de Calinzana. Prologue prometteur…
Résolus à un rythme “vacances”, nous suivrons le parcours tel qu’il est présenté dans notre topo-guide A travers la montagne corse, à raison d’une étape par jour dans le sens nord-sud. Deux options pour le couchage: en bivouac ou en refuge. Alors que la première coûte en moyenne 4,5€ par personne et par nuit, la seconde à 9€ permet de s’affranchir du transport d’une tente et d’un matelas, pour peu qu’elle soit adoptée pour l’intégralité du trajet. En cadeau, les habituels concerts nocturnes que seuls un sommeil de plomb ou - approche plus réaliste - des bouchons efficaces rendront supportables. Nous concernant, la première solution fut retenue, plus sauvage, plus séduisante.
Après une première étape en partie gâchée par la pluie sur la fin du parcours, nous sommes très vite dans le bain. A ce moment, nous avions déjà sympathisé avec Sophie, québécoise émérite à l’accent saveur sirop d’érable, et Frédéric, redoutable marcheur venu du pays basque. Difficile d’oublier cette triste sensation lorsqu’au départ de la seconde étape arrive le moment où les bretelles du sac à dos viennent à nouveau vous lacérer les épaules ! La partie Nord est jonchée d’autres bergeries et refuges intermédiaires, et est donc plus propice aux ajustements de parcours pour ceux que le temps presse. Les paysages y sont véritablement lunaires, extrêmement caillouteux et abrasifs, parfois escarpés et conduisant à de petites séances de grimpette appréciées (bien faire attention au poids de l’équipement). Là-haut, on parle essentiellement français, mais aussi italien, allemand, flamand, anglais, voire même polonais. Les étapes se suivent et ne se ressemblent pas, chacune d’entre elles présentant ses singularités. Venant du nord, 9 jours vous séparent de Vizzavona, qui par son statut d’unique village se veut la trêve psychologique du parcours. A ce moment, impossible de ne pas aller dîner au café du chef de gare après s’être délecté sous la seule douche chaude avoisinante. De là, il est également possible de prendre U trinighellu, ce petit train reliant Bastia à Ajaccio par la montagne, pour aller flanner à Corte par exemple (départ à environ 16h30) et éventuellement retirer l’argent qui vient encore à manquer. Après, les paysages changent, le terrain devient plus mou, les passages boisés deviennent monnaie courante, on croise moins de personnes puisqu’un certain nombre s’arrête à Vizzavona. L’ambiance se relâche un peu également, car on sait que les difficultés majeures sont désormais derrière nous. L’envie de se faire plaisir monte mécaniquement. Attention toutefois au sentiment illusoire que le reste puisse être une partie de plaisir. J’ai personnellement trouvé la fin du périple globalement plus pénible, probablement dû à des étapes plus longues en distance - un chouilla moins monumentales - auxquelles viennent s’ajouter une certaine fatigue accumulée.
L’arrivée à Conca est des plus discrètes, cependant très gratifiante. Une navette nous aura ensuite déposé à l’entrée de ce camping qui marqua un retour à la civilisation et aux standings côtiers luxueux. Reste que ne connaissant pas vraiment les conditions d’arrivée, nous ne nous étions pas vraiment attardés à rechercher un endroit en particulier. Le retour vers Bastia aura été assuré le surlendemain par un bus parcourant la route nationale longeant cette même côte. Parti de Porto Vecchio à 13h30, celui-ci m’a déposé au rond-point de Casamozza après 2 bonnes heures de trajet. De là, 3 kilomètres (qui auront semblé bien faciles) me séparaient encore de l’aéroport. Le dernier coup d’œil à travers les hublots de l’appareil aura été pour les montagnes corses…
Voici les photos de notre périple:
Généralités
Le GR20 s’adresse à des randonneurs initiés en solide condition physique au moment du départ. Bien préparé pour l’occasion, la traversée n’en sera que plus facile et agréable. Malgré tout, les 3 derniers jours, mes chevilles ont commencé à “pincer” et le parcours a pratiquement eu raison de mes chaussures de randonnée légères pourtant neuves. A moins donc d’avoir des pieds et articulations inusables, privilégiez des chaussures de bonne qualité, résistantes et offrant un minimum de maintien (en cas d’urgence, j’ai souvenir de 2 refuges permettant de se procurer des paires de fortune, une alternative à éviter comme la peste).
En se basant sur le découpage “classique” en 15 étapes, c’est une moyenne grossière de 7h de marche quotidienne qui vous attend, hors pause. A ce rythme, il est de bonne augure de partir au moment où la luminosité commence à rendre les marques visibles, afin de pouvoir profiter des étapes en toute sérénité, et arriver au prochain refuge suffisamment tôt pour s’octroyer un repos réparateur. Tributaires de quelques évènements difficilement prévisibles ou contrôlables, il est recommandable de prévoir au moins 1 à 2 journées de battement, qui serviront dans le meilleur des cas à coincer la bulle devant une bonne glace sur le port de Porto Vecchio. La traversée peut être interrompue à chaque étape, en descendant les “liaisons” qui ramènent aux villes et villages de proximité.
La période fin août nous a été globalement favorable, début septembre l’est encore davantage selon certains bergers, le risque d’orages y étant moins élevé. Nous avons pris une journée de retard au niveau du cirque de la solitude pour cause de prévisions météo médiocres, finalement rattrapée en doublant l’étape vers Vizzavona. La fréquentation réduite a rendu la traversée calme, très apaisante. Les vents rafraîchissants ont réduit ma consommation quotidienne d’eau sur le chemin entre 2L et 2,5L. Celle-ci peut cependant varier très vite en fonction de votre propre condition et de la météo (absence de ces fameuses brises, notamment). En cette période, on peut trouver de l’eau sur environ les 2/3 des étapes sous forme de sources ou de rivières.
Les réseaux téléphoniques mobiles sont accessibles depuis un certain nombre de refuges (Orange et SFR testés). Le balisage est très correct, mais les nombreux cairns jonchés ça et là vous seront parfois précieux pour ne pas vous écarter de la piste. Enfin, le choix entre le sens nord-sud ou sud-nord est une vaste question dont les éléments de réponse sont essentiellement subjectifs. Ceux-ci incluent votre capacité de mise en jambes, votre propension à préférer les effort en début ou en fin de parcours ou le soleil de face ou dans le dos.
Détails pratiques
Concernant l’équipement, le manque d’expérience sur des randonnées de ce calibre nous a amené à commettre quelques petites erreurs: chacun d’entre nous n’étant pas parti en autonomie complète, trop chargé en nourriture (qu’on trouve finalement sur le parcours), un choix de vêtements à revoir, un matelas trop volumineux et un duvet trop chaud (mon Lestra The Wall 220 et sa limite de confort annoncée de -9° est plus qu’il ne faut sur ce parcours en cette période).
A défaut de lister le matériel avec lequel je suis parti, voici plutôt le contenu du sac à dos avec lequel je repartirai, pour en réduire le poids initial de plus de 18Kg à 16Kg environ (sans eau).
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3 slips + 1 maillot de bain
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2 paires de chaussettes de randonnée + 1 paire normale
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3 T-shirts
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2 shorts légers
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1 pantalon léger + 1 collant lycra (en cas de grand froid)
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1 sweat-shirt chaud
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1 paire de claquettes - 200g
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1 polaire cintrée en Gore-Tex - 350g
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1 casquette/chapeau - 125g
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1 poncho ou 1 k-way en Gore-Tex - 350g
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1 serviette en microfibres (se “tamponner” avec, ne pas se frotter) - 70g
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1 cordelette de 3-5m + 2-3 pinces à linge
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1 lampe frontale, indispensable (+ 1 lanterne-bougie optionnelle)
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2 rouleaux de papier-toilette
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popote: casserole 1L ou plus + couvercle, briquet (gare aux allumettes humides), tasse, cuiller, couteau, fourchette - 800g
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1 brûleur 2500W ou plus + 1 cartouche de gaz de type C270, suffisante, d’autant que les bivouacs ont parfois un accès au gaz (attention, les cartouches sont interdites en avion, même en soute), 450g
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trousse de secours: couverture de survie, sifflet, carré de tissu, strap, compresses, pansements, désinfectant, cicatrisant, crême chauffante, anti-diarrhéique, paracétamol, pastilles de purification d’eau - 900g
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trousse de toilette: brosse a dents, dentifrice, coupe-ongles, protection solaire, beaume à lèvres, savon bio-dégradable, 1 rasoir mécanique et petite bombe de gel de rasage, petit déodorant en stick, bouchons à oreilles - 700g
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tente (1,5Kg par occupant maxi.) + maillet - 1800g
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matelas autogonflant 3cm d’épaisseur (bien dormir est important) - 750g
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duvet léger (limite confort 0°C) - 800g
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sac à dos 65L (absolument équipé de porte-gourde et/ou de poche à eau) + housse anti-pluie - 2900g
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sacs en plastiques + 2 grands sacs poubelle (pour isoler au maximum le contenu du sac à dos) - 50g
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10 repas lyophilisés + quelques autres vivres pour le démarrage uniquement: pâtes/riz, barres de céréales, muesli, soupes instantanées, lait en poudre (lait concentré = nul) - 2000g
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250€ en liquide pour le GR - pas lourd, juste cher
- Topo-guide “A travers la montagne corse” + de quoi écrire
Liens et infos
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U trinighellu, horaires et tarifs http://www.trainstouristiques-ter.com. Vizzavona-Corte en 40 minutes pour 10€
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Au gîte de Conca, une navette assure 2 trajets par jour descendant vers Sainte-Lucie, Trinité et Porto-Vecchio. Il vous en coûtera en moyenne 7€ par personne si la camionette est remplie, sinon davantage (attention, la seconde tournée part à 13h30, ce qui ne laisse guère le temps de traîner sur le parcours !!)
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Navette de Poreta (aéroport de Bastia) à Bastia (tél.: 04 95 31 06 65). 8€ la course, la fréquence de ramassage oscillant entre 1h et 3h
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CorsicaBus, horaires et tarifs http://www.corsicabus.org. Bastia-Calvi pour 16€ (départ à 16h30), Porto-Vecchio-Bastia pour 20€ (départs à 8h et 13h30).
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Corsica Ferries, http://www.corsicaferries.com. Compter 60€ pour un A/R Nice-Calvi dans les tarifs les plus bas
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Taxi Michel (Calvi), http://www.taxi-calvi.com. Calvi-Calinzana pour 35€ en tarif de nuit (à partir de 19h)
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Site du parc naturel, http://www.parc-naturel-corse.com
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Magasin au vieux campeur, le temple du randonneur (entre autres), http://www.au-vieux-campeur.fr
- Quelques prix en refuge: saucisson 7€, miche de pain 2€, carré de fromage de brebis 7€, boîte de 6 barres de céréales 2,5€, paquet de muesli 3€, pot de confiture 3€
Au final, mon GR20, c’est environ 1200 photos de paysages prodigieux, la découverte de la confiture d’arbouses, de nombreuses rencontres avec des représentants du Québec, du pays basque, de Lyon, de la Belgique et de l’Alsace. La formule itinérante est un succès et recommencer prochainement me donne déjà des frissons, au point que j’ai déjà mon idée pour le prochain trek… bien loin de la France cette fois. Ces trois semaines de congés m’auront réellement permis de me déconnecter du travail, où il s’est passé beaucoup de choses dernièrement, et pas des meilleures. Wesołych Świąt à tous !